Métisses congolaises : l’État belge condamné pour crime contre l’humanité
Revenant sur un jugement de première instance prononcé en 2021, la cour d’appel de Bruxelles vient de condamner l’État belge pour les enlèvements, pendant la colonisation du Congo, de cinq jeunes métisses et leur placement forcé dans des institutions religieuses.
À ceux qui voudraient tourner trop vite les pages honteuses de l’Histoire coloniale, le train de sénateur de la justice persévérante rappelle que l’écriture de la mémoire se rature pendant des décennies. Les avocats de l’État belge comptaient sur une présumée prescription pour estomper les responsabilités de l’ancien pouvoir colonial dans le sort réservé, au Congo, à des fillettes métisses nées avant l’indépendance de 1960. Suite à cinq plaintes, la qualification retenue du crime permet aujourd’hui de proscrire le passage de douloureux destins par pertes et profits.
Désormais septuagénaires, les plaignantes Léa, Monique, Noëlle, Simone et Marie-José ont patiemment attendu un verdict historique de la cour d’appel de Bruxelles. C’est d’ailleurs sur une jurisprudence historique que s’est appuyé le tribunal, une évolution du droit international applicable depuis 1946.
Métissage « honteux »
Nées de pères blancs et de mères noires, dans l’ex-colonie belge aujourd’hui République démocratique du Congo, les jeunes filles avaient été retirées de force à leurs familles maternelles, à l’âge de deux, trois ou quatre ans, pour être placées dans des institutions religieuses. L’objectif était d’occulter ces métissages que refusaient d’assumer les géniteurs colons. Ces enfants auraient été victimes de mauvais traitements, comme une bonne partie des 15 000 autres métis qui auraient subi le même sort, que ce soit au Congo, au Rwanda ou au Burundi.
Pour la cour d’appel de Bruxelles qui délivrait son verdict, ce 2 décembre 2024, le « plan de recherche et d’enlèvement systématique » des métisses à leurs mères respectives – avant l’âge de sept ans et « uniquement en raison des origines » – constituait, de la part de l’État belge d’alors, « un crime contre l’humanité » conformément aux « principes de droit international reconnus par le Statut du Tribunal de Nuremberg, intégrés dans le droit international », après la Seconde Guerre mondiale. Ces « actes inhumains et de persécution » ne sauraient donc être prescrits, contrairement à ce que considérait le jugement de première instance prononcé en 2021.
Un arrêt historique
C’est en tant qu’ancien pouvoir colonial que l’État belge est aujourd’hui condamné à « indemniser le préjudice moral des plaignantes résultant de la perte de leur lien à leur mère et de l’atteinte à leur identité et à leur lien à leur milieu d’origine ». Chacune des victimes doit être dédommagée à hauteur de 50 000 euros. Les qualificatifs de « ségrégation raciale », de « rapts » et de « vols de l’identité » ont résonné dans les arcanes de la justice, à un moment où les anciens colons européens commencent à reconnaître des massacres ou à restituer du patrimoine.
Pour l’avocate des cinq femmes, Me Michèle Hirsch, la victoire est « totale » et l’arrêt de la cour d’appel « historique » : « c’est la première fois qu’un État colonial, la Belgique en l’occurrence, est condamné pour un crime commis durant la colonisation. »
JA